6 mai 2025/ Dans une société dystopique, quelle utopie imaginer ? @Paris
Compte rendu – Rencontre du 6 mai 2025 au Carreau du Temple à Paris
*une société dystopique est une société imaginaire organisée de telle façon qu’il soit impossible de s’en échapper
Invitée : Marianne Massin, philosophe, Professeur émérite des Universités (17è section), « Esthétique et philosophie de l’art », UFR de philosophie, Directrice du Centre Victor Basch – Centre de Recherches en esthétique et philosophie de l’art) et directrice adjointe de l’EA 3552 « Métaphysique : histoires, transformations, actualité ».
Nous avons débuté la matinée par une courte mise en corps, pilotée par Nathalie Tissot. Autour des dimensions de l’instrument « chaise » et autres mobiliers, adoptées au fil du temps. Des anciennes mesures, l’empan, le pied, la coudée, aux normes adoptées pour l’industrialisation de la chaise fonctionnelle et la standardisation de l’assise.
Comment ces normes qui encadrent nos quotidiens sont censées correspondre à toutes formes de corps et comment chaque individu s’adapte, ou non à ces standards.
Ex : « Le pied du roi » qui est adopté est du 47-48, pointure de Charlemagne. Industrialisation : Processus complexe qui permet d’appliquer à un secteur, à une branche de l’économie, des techniques et des procédés industriels qui apportent rationalisation et hausse de productivité.
Marianne Massin a définit l’étymologie du terme Utopie.
U: peut vouloir dire « lieu qui n’existe pas » ou « bien » selon la racine grecque ou latine. Topie vient de topos – qui veut dire lieu.
C’est donc un lieu qui n’existe pas où tout est organisé pour que l’homme neuf s’organise en société. Dans la fiction, le monde utopique imaginé devient toujours dystopique et, si la dystopie reste purement littéraire, elle est souvent, voire toujours, une dénonciation de la société donc du réel. C’est souvent un réglage du collectif, qui tend vers la volonté d’une réalisation politique effective.
Ci-dessous quelques pistes de littérature données par Marianne Massin. *
Mots clés de comment l’utopie devient une dystopie
bien /mal transparence /observation individuel /endoctrinement collectif admirable/perte de l’individu
Elle met en opposition le pouvoir de l’individu par rapport à un monde collectif, à une société organisée.
Il est intéressant de noter que dans la littérature c’est souvent l’art qui, en créant une rupture, dérangeante dans un premier temps, ouvre la voie à la résistance et à la remise en question d’une société.
Il faut lutter de façon tonique, réveiller la puissance de l’imaginaire, faire un pas de côté et ne pas se résigner au statu quo, trouver la complémentarité du collectif et de l’individuel. Préserver la liberté, fixer les limites du collectif : autant d’idées dont nous pouvons nous inspirer.
Il faut imaginer ensemble, trouver des temporalités différentes et surtout avoir confiance en soi!!
Après cette matinée, riche en échanges et en idées, chaque participante a inscrit 5 mots sur des post-it tirés des échanges du matin et de la présentation de Marianne Massin. Cela crée une sorte de cartographie. Ensuite, nous les avons classés en tissant des liens entre eux pour former des familles de mots.
Nous notons que la plupart des mots choisis sont interprétés dans le sens de l’utopie ou de la dystopie …Dans un second temps, nous avons essayé une mise en corps et en pratique de ces mots mais cela s’est avéré difficile. Finalement, sur une proposition d’une des participantes, chaque personne a choisi un mot et pendant 5 minutes, seules, nous sommes rentrées en introspection.
Puis dans un second temps, toujours pendant 5 minutes, nous avons « incarné » ce mot de manière simple ; enfin le processus s’est terminé avec une séance d’écriture automatique pendant encore 5 minutes.
La journée s’est terminée par un échange entre les participantes.
Bibliographie
MACHEREY Pierre, De l’Utopie !, de l’incidence éditeur 2011 :
« Pourquoi s’intéresser aujourd’hui aux discours des utopistes ? Peut-être perce que ce dont nous manquons le plus, c’est précisément d’utopie, sans même avoir conscience de ce manque. Plus fondamentalement, l’utopie ne correspond-elle pas au sentiment diffus que quelque chose ne va pas dans la société, à quoi il faudrait de toute urgence remédier, ce qui fait d’elle l’expression d’un manque ? »
MORE Thomas, Utopia (1516) – Flammarion, 1987 L’utopie ;
CAMPANELLA (1602) – trad. lat. 1623 La Cité du Soleil ; Bacon (1627), La nouvelle Atlantide, Flammarion, 1995 ;
CABET E (1842), Voyage en Icarie ;
MORRIS w (1890), Nouvelles de nulle part, Flammarion, 1992 ;
DROUIN Anne-Marie, Éducation et Utopies, VRIN 2004
« Risquons la définition suivante : Les utopies sont des descriptions précises de pays imaginaires, conçus comme mci fleurs, mieux organisés que des pays réels et qui se donnent au moins pour logiquement possibles : les hommes y sont les artisans de leur bonheur par la structure et des principes de vie qu’ils ont construits ou acceptes (…) Ce noyau dur est entouré d’un halo plus flou de textes, où la vraisemblance et le réalisme se mêlent parfois au fantastique, où l’on peut livre sur la lune, où les animaux de couleur multiples sont doués de langage, ou croissent des végétaux merveilleusement prolixes, où les oiseaux peuvent servir de machines volantes. (…) Il est donc difficile de parler de l’utopie comme d’un type unifié» p. 43-44
ZAMIATINE (1924) Nous autres, Gallimard « L’lmaginaire » 1980 ;
HURLEY A. (1932) Le Meilleur des mondes, (1958) Retour au Meilleur des mondes ;
ORWELL. G. (1949), 1984 ;
HUXLEY Aldous, Retour au Meilleur des mondes
« En 1931, alors que j’écrivais Le Meilleur des mondes, j’étais convaincu que le temps ne pressait pas encore. La société intégralement organisée, Ie système scientifique des castes, I ‘abolition du libre-arbitre par conditionnement méthodique, la servitude rendue tolérable par des doses régulières de bonheur chimiquement provoqué, les dogmes orthodoxes enfoncés dans les cervelles pendant le sommeil au moyen de cours de nuit, tout cela approchait, se réaliserait bien sûr, mais ni de mon vivant, ni même du vivant de mes petits-enfants. (…)Vingt-sept ans plus tard, dans ce troisième quart du vingtième siècle (…)je suis beaucoup moins optimiste que je l’étais en écrivant Le Meilleur des mondes. Les prophéties faites en 1931 se réalisent bien plus tôt que je le pensais ».
Utopie, catalogue, la quête de Société idéale en Occident, BNF-Fayard. 2000
« Les contre-utopies ne sont pas te contraires des utopies, mais des utopies en sens contraire. Elles en récupèrent fidèlement le schéma général, les thèmes et les lieux communs, pour démontrer que chacun des bienfaits de l’utopie finit par se retourner contre son bénéficiaire, par menacer ce qui constitue proprement son humanité. Et elles le prouvent toujours de la même manière, en poussant la logique jusqu’à son terme, en imaginant l’utopie enfin achevée, close, parfaite, et en soulignant quelles seraient les conséquences, grotesques ou terribles, de cette “perfection”. Par le biais de la caricature, elles démasquent le double jeu de l’utopie, les cauchemars dissimulés sous les merveilles promises ».