Billet d’humeur / Spectacle Vivant : où créer le mouvement?

Billet d’humeur / Spectacle Vivant : où créer le mouvement?


© Daniel Rose

Faire bouger les lignes, faire des pas de côté…
Ces projections sur le futur sont évoquées comme alternatives au système actuel.
Certaines sont des préconisations déjà identifiées, d’autres sont des pistes
Si elles ne peuvent pas être mises en chantier aujourd’hui ou demain, du moins peuvent-elles servir de tremplin pour induire le changement que nous appelons de nos vœux

Pas mal de questions se posent, parmi lesquelles :

– Comment pouvons-nous la rendre partie prenante de la vie de chacun.e ?

– Comment explorer la relation entre artistes et public vers de nouvelles perspectives?

– Quel modèle éco-dynamique peut se substituer au modèle du ruissellement qui était celui de la politique culturelle et qui a démontré ses limites ?
Quelles pistes possibles ayant une plasticité suffisante pour répondre à l’inventivité et l’évolution du spectacle vivant ?

– Quelle pourrait être notre contribution pour rebondir après cette polycrise ?
En tant que créateur.trice.s et artistes du spectacle vivant, comment pourrions-nous prendre part à une réflexion pour l’avenir dans le domaine du spectacle vivant ? Comment pourrait-on faire entendre nos propositions ?

– La création artistique génère de nombreux emplois directs et indirects, que ce soit dans la culture, dans le tourisme, dans l’artisanat et bien au-delà. Elle en crée sans doute  d’autres, par exemple en ouvrant la réflexion concernant les interrelations avec le vivant, à l’aménagement des territoires et à leur valorisation. (explorer les domaines proposés par Bruno Latour, Philippe Descola, Isabelle Stenger, Vinciane Desprets , Baptiste Morizot…)

– Est-il possible de valoriser comme il se doit les projets artistiques de territoire par des financements appropriés et pluriels ? Des synergies peuvent-elles être efficacement mises en œuvre entre les acteurs économiques et politiques ?


Le statut de travailleur et la spécificité d’artiste du spectacle vivant

L’intermittence : l’année blanche est actée, mais… est-ce vraiment l’outil de demain concernant la rémunération des artistes ?
Pour les auteurs, les artistes hors du régime de l’intermittence: n’est-il pas temps de mettre en place un revenu minimum d’existence ? Une expérience pilote à mettre en place au plus vite peut-être?

Une occasion idéale pour mettre en place un laboratoire en mouvement englobant l’ensemble des facteurs et l’évolution du statut d’artiste du spectacle vivant, auteur aussi bien qu’interprète (Rapport Racine).
Les modes de rémunération actuels sont pluriels et pas toujours pris en compte par les institutions.
Cependant, l’artiste reste un.e travailleur.lleuse quel que soit son mode de rémunération.
Et à ce titre, il.elle doit savoir quels sont ses droits.

Comment harmoniser les critères concernant le travail des artistes du spectacle vivant ?
Entre Ministère de la culture et Ministère du travail, la définition de l’intermittence peut avoir des interprétations différentes. A quand une définition sans ambiguïté ?

Même cas de figure concernant les rendez-vous avec les partenaires et les institutions (qui eux sont payés pour ce temps de coélaboration). Comment rémunérer ces rencontres en respectant les lois du travail ?

Pour ce qui concerne la création, peut-on envisager des cycles de 3 ans ?
– Année 1 : de travail d’auteur en lien avec la mise en chantier de la production. Ces deux aspects doivent être rémunérés puisqu’il y a travail et que c’est la loi.
– Année 2 : répétitions et de création ainsi que les diffusions dans les lieux partenaires.
– Année 3 : c’est l’année d’expansion de la diffusion. Elle pourrait se juxtaposer avec l’année 1 d’une future production.


Les financements publics de la création

Aujourd’hui, les demandes de subvention se font annuellement et limitent souvent la durée de vie potentielle de l’œuvre. Peu nombreux.ses sont créateur.trice.s à qui ce rythme correspond.

Il faut du temps pour installer une diffusion : elle passe par des lieux partenaires puis s’élargit et circule aussi par des circuits nouveaux et/ou plus informels.

Des cycles comme proposés dans le chapitre précédent sont-ils envisageables ?

Quelles seraient les modalités à mettre en place pour un financement qui traverse l’ensemble du parcours ?

Des dynamiques différentes à chaque étape: de l’étincelle et la recherche qui en découle chez le.la créateur.trice (rémunération de l’auteur.e), puis la mise en place de la production et la constitution de l’équipe (production), suivie des répétitions aboutissant à la création et enfin, la diffusion et la circulation de l’œuvre (équipe artistique et de production).


La relation avec les structures d’accueil, lieux labellisés, lieux intermédiaires et indépendants
Quelques pistes à envisager mais bien d’autres encore…

Un dialogue d’égal à égal avec dans l’esprit de tout ceci : la culture est innovante grâce aux créateur.trice.s et alimentée par l’ensemble du monde de la culture dans une interrelation adulte.

Réinventer la rencontre avec les institutions culturelles et territoriales: plateformes, rencontres impossibles, appels à projets trop confidentiels, réservés à certain.e.s, vécus souvent comme discriminatoires. Ils sont chronophages, engendrent des déplacements, des frais, du temps de travail non rémunéré.

Dans chacune des régions, un rendez-vous ne pourrait-il pas être pris dans des villes relais à intervalles réguliers pour voir répétitions, rencontrer les créateur.trice.s, en un mot connaître leur univers artistique et leur approche avec leurs équipes artistiques et administratives ?

Plus de vente à coût plateau sous prétexte que l’on permet aux créateurs d’avoir une visibilité. Ou pour une quelconque raison. Économiquement, ce n’est pas viable et ce genre de discours n’est tenu qu’à certains créateurs et évidemment pas aux têtes d’affiche.

Suggérer aux lieux de diffusion de ne prendre que peu de spectacles coûteux à chaque saison, étant ainsi vigilants au coût réel des spectacles, incluant l’ensemble des frais. Une programmation de territoire beaucoup plus importante réduirait les frais annexes, mais sans solde sur le prix des spectacles ce qui permet aux compagnies de payer des cachets corrects aux artistes.


La rencontre avec les partenaires du territoire

Porter un projet artistique sur un territoire nécessite de créer des synergies avec celles et ceux qui sont en charge de sa gestion et qui y ont été élu.e.s.
Une rencontre féconde est facilitée une fois identifiée la personne à qui l’artiste s’adresse : maire, président d’intercommunalité, etc.
Être au fait de ses objectifs politiques, économiques, sociologiques et philosophiques facilite la compréhension réciproque. Il vaut mieux se faire une idée des grands projets mis en chantier durant le mandat en cours, des projets spécifiques à venir qui pourraient devenir un terrain de coélaboration, du budget global et spécifique à la culture, à l’aménagement du territoire, à la Politique de la Ville…
L’artiste est porteur d’idées. Il.elle peut nourrir un projet ou au contraire devenir ferment d’une autre approche… On peut s’appuyer sur des dynamiques de transversalité qui semblent une piste à explorer pour le futur.

Des chorégraphes pourraient être associé.e.s à la réflexion sur l’urbanisme en mutation d’une ville. Ils et elles sont des expert.e.s en circulations dans l’espace, en fluidité, en inter-relations, en pauses et respirations.
Travaillant en permanence avec les corps sensibles, elles et ils se mettent à l’écoute et décelent les aspirations d’un groupe, détectent les points de friction, les espaces nécessaires au repos, au contact, au mouvement, à l’enchantement, à l’échange.
Partant du brassage des esthétiques de la danse, ils et elles ont pratiqué dans le concret une mixité et un dialogue dont bien des politiques pourraient s’inspirer. Elles et ils en savent assez long sur les notions de visibilité et d’invisibilité pour accompagner sociologues et penseurs dans leurs réflexions.

Sur quelques villes pilotes et ouvertes, proposer un partenariat entre entreprises locales (PME, TPE, commerces, restaurants…) et structures de création artistiques (compagnies et salles indépendantes implantées sur le même territoire).
On pourrait imaginer un PACS de mécénat à durée déterminée dont les modalités seraient déterminées par une charte et soutenues par les pouvoirs publics.
Et pourquoi ne pas offrir à ces entreprises une forme de soutien le temps de ce compagnonnage ? Au-delà d’un esprit de solidarité, pourraient en découler un retour d’image et une visibilité sur le territoire.

Un maillage du territoire nait souvent des associations citoyennes, de celles qui mettent l’accent sur l’environnement et tant d’autres. Les structures de création pourraient mettre en place des passerelles là où elles n’existent pas, consolider et développer celles qui sont déjà présentes.

La rencontre avec le privé : Jouer sur une solidarité locale, de territoire et sur un plus culturel. On peut proposer aux restaurants, hôtels, lieux de tourisme, de la musique bien sûr, mais aussi des lectures mises en espace ou pas, des petites formes issues de créations complètes pour des soirées évènements.


La relation de l’artiste du spectacle vivant et le monde de l’Éducation

La politique de l’Enseignement Artistique et Culturel peut- elle être en lien avec une création, un spectacle en cours de travail, peut-elle générer une déclinaison d’une proposition artistique ? Bien au-delà de la démonstration, ne serait-il pas souhaitable qu’elle devienne matière à échange, exploration partagée, ouverture de l’esprit à la curiosité et à la créativité fertile ?

Et, répétons-le, repenser le cadre actuel concernant du nombre d’heures de transmission prises en compte au titre de l’intermittence à chaque réouverture de droits (55h ou 90h pour les plus de 50 ans)

Certains établissements scolaires ont des locaux adaptés à l’accueil de compagnies de spectacle vivant en résidence. D’autres peuvent accueillir plasticiens, musiciens, designers, artisans des métiers d’art… Peut-on penser à étendre les résidences créant ainsi un rapprochement et des transversalités fécondes entre les disciplines artistiques et les autres apprentissages ?


Les financements privés

Les moyens financiers existent, comment pousser les États à aller les chercher ?
Ils risquent beaucoup plus à ne pas le faire qu’à le faire (émeutes de la faim, climat insurrectionnel)

Haute Finance : L ’argent est là avec une manne potentielle énorme si les États osent mettre en place ce qui est dans l’air depuis des années : la taxation des transactions financières à plus de 0,3% qui est le taux actuel en France. Ce sont des mesures à prendre au niveau de l’Europe au moins.
Depuis longtemps, L’association ATTAC prône la taxe Tobin.

Groupes privés : Pourraient-ils soutenir économiquement les festivals et manifestations à portée internationale, réduisant ainsi le pourcentage de financement par l’institution ? Serait-il alors envisageable de reporter ces sommes sur d’autres manifestations moins soutenues et sur les structures de création, puisque ce sont elles qui sont facteur d’emplois et de vitalité des territoires ?

Sociétés du CAC 40 et grands groupes : Un soutien aux grandes manifestations (et en particulier pour les OFF de chacun des grands festivals de spectacle vivant). Au-delà des festivals IN, ils promouvront la création féconde, en devenir, celle qui s’invente et non celle qui est déjà repérée.

GAFAM : Le mode de calcul de la taxe ne se doit-il pas d’être modifié en profondeur? Pourrait-on envisager qu’il soit calculé par rapport au marché de chacun d’eux dans le pays ?
Cette mesure pourrait-elle être envisagée au niveau européen : chaque pays percevrait des taxes à hauteur du chiffre d’affaire fait sur son territoire ?
Les Fondations : pour celles qui sont déjà mécènes de la culture, leur suggérer une orientation alternative soutenant des structures plus nombreuses et réparties sur l’ensemble du territoire national (Hexagone + Départements et Territoires d’Outre Mer). Pour favoriser cela, peut-on imaginer des avantages fiscaux à taux variable en fonction de la pertinence et de l’ancrage sur le territoire?

Dons privés : Il est grand temps de régulariser une situation inacceptable : les petits donneurs soutenant les structures culturelles et/ou les ONG n’ont que peu de déductions fiscales puisque plafonnées en fonction du revenu net imposable. Parfois même ils n’ont aucune déduction, étant non imposables et vus les modes de calcul. Ces dons sont minimes, mais nombreux.
Ils créent une collectivité de soutien, valorisant une prise en charge citoyenne et donnant le sentiment que l’on peut agir chacun.e en fonction de ses moyens mais pour un but commun.
Alors, pourquoi pas pour elles et eux des chèques énergie, des chèques repas… ?
La Constitution Française est basée du l’égalité!


Les festivals, manifestations culturelles internationales : un exemple Avignon

1. Réduire les frais annexes
Réduire les frais de logement et repas : Le Festival Off pourrait créer une plateforme locale et temporaire, à usage exclusif des participants du OFF.
Les emplois à créer pour la mise en place de celle-ci pourraient être soutenus par des financements publics. Les restaurants, hôtels et locations par des particuliers respectant une modération seraient répertoriés par cette cellule du Festival Off et proposés en priorité aux compagnies.

Quelques pistes :
Des accords avec les restaurants pour des repas à prix raisonnable (12€ à midi, 18€ le soir)
Des Tickets restaurant spéciaux artistes – Festival d’Avignon
Des chèques logement attribués aux compagnies en représentation les plus fragiles
Un accord avec les plateformes et leurs utilisateurs pour un abattement des tarifs à évaluer pour les artistes en représentation (soutien pensé des 2 côtés particuliers et plateforme)

2. Location des théâtres
Des créneaux de temps de plateau plus élargis ou modulables, en fonction de chaque spectacle.
Des tarifs modulés selon le critère de temps de plateau nécessaire dans une limite raisonnable
Serait-il envisageable de réfléchir avec les lieux du Off sur un allègement du planning des spectacles ?
Une révision des tarifs des salles (nombre de places, équipement, horaire …)

Pour les Compagnies (et en particulier pour la danse et les arts du mouvement) lors des festivals :
Pour les pièces courtes (20 minutes et 40minutes) – Une mutualisation de la location d’un créneau horaire
Mutualisation d’un service de presse, d’un.e chargé.e de diffusion…
Mutualisation de location de matériel/ appartement
Une réflexion approfondie sur des nouveaux modes de publicité pour remplacer peu à peu le système d’affichage sauvage, coûteux et polluant.


Et au niveau de l’Europe ?

Le programme Europe creative représente seulement 1 milliard et demi d’euros, c’est-à-dire seulement 0,15% du budget de l’Union Européenne.
Lors d’un appel lancé par des artistes européens, ils rappelaient : « Les secteurs créatifs et culturels sont le troisième bassin d’emploi en Europe. Dès lors, les conséquences économiques d’un secteur à l’arrêt du fait de la crise vont au-delà du seul domaine de la culture. » 1

Ils appellent ainsi les leaders de l’Union Européenne à « soutenir et à investir dans la culture et les arts et dans notre avenir créatif » 1 en adoptant un plan de relance avec des ressources financières suffisantes pour revitaliser l’écosystème culturel et garantir l’avenir des prochaines générations d’artistes.

Comme le programme pour la période 2021 à 2027 est déjà établi, l’Europe ne devrait-elle pas se lancer dans une réflexion plus substantielle sur les fonds qu’elle dédie à la culture et à quelle culture ?

Ceci en termes de personnes impliquées : artistes et public. En termes de travail créé et travail induit. En termes de résonances pour aujourd’hui et pour demain. En terme de sentiment d’appartenance à un continent riche d’histoire et projeté sur demain…

1. 7 idées pour un plan de relance culturel de l’Union de GEG (Groupe d’Études Géopolitiques).

Isabelle Magnin
septembre 2020