Hommage à Brigitte Dumez (1953-2022)

Hommage à Brigitte Dumez (1953-2022)


Ce dimanche 17 juillet 2022, Brigitte Dumez a de nouveau joué un tour à sa façon, saut de carpe cette fois-ci définitif : une crise cardiaque l’emportait. La dame avait déjà démontré à maintes reprises sa faculté de rebond, sa puissante énergie et son enthousiasme communicatif, mais là, aucune échappatoire possible. Le constat sec d’une perte autorise donc maintenant la relecture d’un parcours riche, moiré, original, dont les échos parfois trop discrets ont irrigué une vie de danse, en mouvement, dédiée à une conception étendue de la danse, du chorégraphique et de la pédagogie.

Née le 28 novembre 1953 à Paris, Brigitte Dumez connaît une rencontre avec la danse très « normale » à cette époque : début avec le classique qu’elle va poursuivre avec des professeurs renommés tels Andrej Glegowski, René Bon ou Wayne Byars. La découverte de la danse contemporaine pointe en 1968 : Françoise Dupuy, le RIDC, le Centre international de la danse avec Yuriko et Sue Davis, et un zeste de jazz.

Un tournant important s’opère en 1977 : Valda Setterfield lui fait découvrir la technique Cunningham. Ce qui va engendrer un voyage aux Etats-Unis en 1980. Ce bain américain (Viola Farber, Dan Wagoner, Lucinda Childs, Meg Harper) qui va d’une certaine manière se poursuivre à son retour en métropole (Jean Pomarès), signe une exigence tout à la fois technique, gestuelle et de construction spatiale qu’elle développe comme interprète auprès de Jean-Marc Matos de 1979 à 1984.

La période est intense avec une première expérience de création dans un groupe chorégraphique toulousain, puis dès 1985 la fondation de sa propre compagnie afin de porter le projet Orion, l’année suivante. D’emblée, le rapport à une danse qui miroite avec l’élément architectural, théâtrale ou pictural s’affirme. Des toiles peintes d’Orion au château royal de Collioures avec Caucoliberi (1987) ou Juliol (1989), sa danse cherche à se révéler de multiples manières dans la durée même du spectacle.

Une autre approche est à remarquer avec son travail d’interprète pour Christine Bastin dans La Folia (1986) où elle assume une certaine dramatisation du corps qui frôle parfois avec l’expressionnisme et semble répondre à une tension intérieure existentialiste. Il va en découler une gestuelle très précise, musicale, suspendue mais tendue, élégante mais comme inachevée, en attente. Les Barricades mystérieuses (1995), titre d’une œuvre de Couperin pour clavecin, signe une réussite indéniable qui sera créée en extérieur dans un jardin d’Avignon. A la fois apogée d’une recherche et première étape d’une autre, ce trio de femmes affirme une conception très personnelle du féminin, alliant une primitivité viscérale et un besoin spirituel tout autant essentiel. La suite développe toute une série de pièces pensées et magnifiées par le jardin, le monument, l’architecture. On peut citer notamment Petite encyclopédie d’un jardin dansé (1997) Le goût des secrets (1998), L’épine du lieu (2001), Amorces sous ses différentes formes (2001).

Toutes ces chorégraphies taillées sur mesure, affinées au plus près des espaces à chaque fois différents, ne permettent pas une reconnaissance trop souvent établie uniquement dans les théâtres. Le savoir-faire spécifique à ces projets n’est en soi que très peu compris comme unique et riche.

Une dernière période créatrice se distingue par une orientation plus performative, ponctuée de petites formes, et un rapport aux textes affirmés, en collaboration avec Michel Simonot (déjà présent dès 2001) et Gérard Lépinois. Cependant, dès le début des années 1990, elle va se former à la respiration diaphragmatique profonde et, plus tardivement, développer une conception haute de la danse-thérapie où la présence de l’artiste détermine et renverse les relations entre les personnes, source d’un accès renouvelé à l’inconscient.

Engagée dans la vie chorégraphique, dans le militantisme synonyme de prudence et d’espoir de ceux qui ont vécu totalement le développement de la danse contemporaine en France, et donc comme présidente un temps du syndicat Chorégraphes Associé.e.s, elle va également poursuivre une voie pédagogique intense jusqu’à son décès subit. Outre un sourire ravageur, un regard étoilé, un rire sonore d’oiseau chanteur, Brigitte Dumez incarne une vie de danse ponctuée de vraies innovations, d’intuitions, de réalisations convaincues, d’attente, de déception… Une vie d’artiste où la rencontre avec d’autres artistes a une toujours été une joie et une inspiration. Une vie active comme une énergie intrinsèquement vive et sans apprêt, ductile mais incassable, toujours à la recherche d’une forme idéale, d’une oasis enchanteresse.

Christophe MARTIN

 

Un livre d’or a été mis à disposition par la famille – lien ici. Pour dire tous les mots qu’on aimerait encore dire à Brigitte Dumez. Afin de laisser des témoignages pour honorer la mémoire de Brigitte chacun d’entre vous peut ici partager des souvenirs de moments et, également, des messages à Brigitte ou des messages de soutiens pour sa famille. Ce pourra être une œuvre collective pour Brigitte une dernière fois. Nous avons carte blanche. Quelques petites questions et quelques mots pour laisser parler notre cœur.