Billet d’humeur d’Yvon Bayer, suite au débat Chorégraphe, ta gueule! à Avignon

Billet d’humeur d’Yvon Bayer, suite au débat Chorégraphe, ta gueule! à Avignon


© Drew Graham

Mardi 22 juillet 2014 11h00 à 13h00 avec la SACD au Conservatoire

Nous nous sommes retrouvés une vingtaine, chorégraphes pour la plupart mais pas que, ce mardi 22 juillet 2014 dans la cour du conservatoire d’Avignon, à l’ombre d’un grand marronnier pour échanger sous l’impulsion, les propositions de l’équipe des Chorégraphes Associés.

« Chorégraphe ta gueule! » en était le « mot d’ordre », le cri de ralliement, l’expression tonique… et tonifiante pour échanger sur les questions liées à notre profession, qui si elle n’en demeure pas moins essentielle dans le milieu de la création du spectacle vivant, ( j’élargis le domaine proprement chorégraphique car bon nombre de chorégraphes sont associés aux créations lyriques, circassiennes, théâtrales, musicales, de spectacles de rues… bref dans tous les domaines du spectacle vivant) se trouve dans la situation tant juridique, professionnelle et, disons, médiatique de la profession, reléguée en « seconde » zone, quand il ne manque pas carrément de législation alors que les musiciens, par exemple, jouissent d’une reconnaissance évidente… !

Il est indéniable que la profession même de chorégraphe est certainement moins définie, moins clairement cernée que celle de compositeur….

Pourquoi cette différence, pourquoi une hiérarchie apparente dans le pays où le roi Louis, le quatorzième, avait ouvert une académie de danse…avant celle dédiée à la musique ! Bon, le roi était danseur, ceci explique cela, mais ce n’est pas une raison pour avoir, avec le temps discrédité, en quelque sorte, la danse vis à vis de la musique.
Là, je me mets à penser que si j’évalue les décennies de mes activités de danseur et de musicien je peux constater que l’environnement de la danse est plus féminin alors que celui de la musique est masculin et là on a une autre explication qui rejoint une tendance générale… dans une société qui demeure assez machiste !
Raison de plus pour pousser « une gueulante ! »

Un grand nombre des personnes présentes sont « plus ou moins » sexagénaires, donc ont vécu leur périodes intenses de travail dans les années 80/90, année de l’effervescence de la chorégraphie dite contemporaine. Personnellement étant arrivé à Paris en 1983, j’ai bien vécu cette circulation, ces opportunités de montrer son travail, de rencontrer les collègues, la presse, les curieux….et aussi les « pros »grammateurs !

Il est une constante dans les désirs qui se manifestent, on pourrait dire de toute part ou de tout bord, c’est celui de constituer des réseaux, rejoindre certains existants. Après les années d’explosions, d’émergences des chorégraphes, des compagnies, des centres… une forme pointe, avec force sa nécessité, celle de rassembler, de se rassembler. Car on voit bien qu’à terme avec la profusion des artistes et la restriction des budgets, un rassemblement des idées, des énergies, des compétences pourra donner plus de sens et de poids aux souhaits qu’accompagnent chacun d’entre nous de continuer à présenter son travail.
Et c’est à cet endroit que l’on pourrait situer les Chorégraphes Associés. Qui, à juste titre, insistent pour que d’autres chorégraphes les rejoignent, rejoignent leur groupe de réflexion, d’investigations, de revendications…de coup de gueule !

Nous avons échangé sur la formation, les diplômes, l’accompagnement, les démarches administratives et leurs complexités, leurs lourdeurs, les droits d’auteurs…

« Chorégraphe ta gueule!» m’a tout d’abord rappelé une scène vécue il y a une vingtaine d’année à Paris, au « Théâtre 18 » à l’époque, nommé ensuite « l’étoile du Nord »), lors d’une programmation autour de la danse il y avait un débat/discussion et avant d’assister à ce débat je surprends deux protagonistes de ce débat ( l’un s’occupant de programmation l’autre journaliste « spécialiste » de la danse….) dire : « Ah il faut bien prendre la parole pour ces danseurs, qui ne savent pas parler…. » . Mon sang n’a fait qu’un tour et je me suis demandé pourquoi des « spécialistes » ( de quoi?…) devaient parler pour d’autres et à contrario pourquoi, parfois, les danseurs ne peuvent pas parler…?

Pour ma part j’ai assez vite mis le doigt sur un point qui est sans doute, à mon avis, une «exception» française, dans laquelle est certainement inscrite «l’Exception Culturelle». C’est celle du pouvoir pyramidal qui induit une attitude particulière tant collective qu’individuelle.
Depuis les trente années que j’habite en France je suis étonné toujours de constater que nous vivons dans une « démocratie » où la hiérarchie, le privilège, le rang, le degré de fonction sont les éléments essentiels du fonctionnement de cette démocratie, cette «république ». Une majorité peut être constituée par un groupe minoritaire…. dit comme cela c’est un contre-sens, et pourtant, voyez les dernière élections!

Moi qui vient d’un pays qui est une monarchie, aux élections : pas de majorité, mais la proportionnelle, et un gouvernement n’est constitué qu’à partir du moment où toutes les parties sont d’accord, c’est à dire quand toutes les parties ont accepté leurs concessions. Et là pour moi c’est un point essentiel de la démocratie : accepter de faire des concessions pour partager un ou des pouvoirs. Vous voyez, le pouvoir n’est pas l’affaire d’un groupe constitué, d’une personne, mais de l’ensemble.

Si je dis cela c’est sans doute et sûrement parce que j’ai envie, enfin, de rejoindre le groupe des Chorégraphes Associés, mais s’ils tentent de fonctionner de cette manière de « partager » le pouvoir, si pouvoir il y a, ne serait ce que celui de faire évoluer la pensée, les idées, les situations.
Mais je sais aussi que ce partage nécessite un recul, une mise à distance au «vestiaire» de ce qui caractérise l’artiste : son ego!
Et si de constater que la plupart des personnes constituant ce groupe sont sexagénaires, c’est qu’arrivé à cet âge l’ego n’est plus cette force vive qui habite le «jeune» créateur, mais que cette énergie vitale s’éveille sous d’autre aspect et là j’ai envie de dire que c’est une responsabilité qui nous incombe de porter en groupe ce que nous voulons défendre pour tous.

Mais il est important que tous les âges soient représentés, comme ce fut le cas lors de cette réunion.

Une première question : Où en êtes-vous, en sommes-nous…où allez-vous, allons-nous?

Après un tour de table je me suis dit qu’il y avait une diversité d’êtres, bien sûr, mais aussi et surtout de situations. Diversité pour des êtres concernés et impliqués dans la création, là c’est logique, je pense que le propre de tout créateur est d’être singulier et de pouvoir développer cette singularité pour ouvrir le champ des langages en quelque sorte, diversifier les points de vue.
Quand à la diversité des situations elle renvoie justement à l’utilité d’un collectif de chorégraphes.

Les moyens de travail, les perspectives de développement, sont toujours tributaires d’une forme de «reconnaissance» dont le chorégraphe, et sa compagnie sont l’objet. ….. et justement je pense qu’il est primordial que cette « reconnaissance » soit diversifiée et essentiellement associée au contexte, à l’environnement du chorégraphe, de sa compagnie, plutôt que de tenter à tout prix (et à quel prix parfois) de vouloir rejoindre la sphère, très réduite, des chorégraphes « élevés » nationalement.
Le travail de terrain reste pour moi la référence en terme de «popularisation», dans le bon sens du terme c’est à dire à la portée de tous, et ainsi participer à l’émancipation non seulement du public mais aussi des artistes. Kodaly disait : «L’éducation musicale de l’enfant commence 9 mois avant la naissance… de la mère! ». Il est évident que plus loin remonte l’approche, plus profonde demeure l’acquisition et la faculté d’ouverture de l’être.
Ceci dit, de nouveau à cet endroit, également, la construction pyramidale du pouvoir…et donc du savoir, tente à éviter la prise en route de ses chemins qui à mon sens sont les tracés indispensable à la formation, à la compréhension et l’acceptation, entre autre, des différences… source de tellement de conflits à notre époque. En bref je pense que le plus gros travail à faire «tous azimuts» est de batailler contre l’ignorance, le repli sur soi…aussi bien sur ses doutes que sur ses certitudes.

C’est sans doute à cet endroit qu’un collectif peut attirer l’attention des personnes en poste. Mais il nous faut travailler, échanger et construire.

– C’est dans ce sens que j’ai évoqué à un moment donné la possibilité pour des programmations d’intégrer des premières parties. Proposer à des compagnies «confirmées», c’est à dire qui sont bien soutenues par «les pouvoirs», d’intégrer à leur présentation une compagnie moins soutenue. L’idée est de donner la possibilité à des compagnies plus modestes, mais qui ont une démarche, d’être présentes sur la scène artistique. En fait il s’agit de mettre en place une concertation entre le collectif de chorégraphes (qui fait la proposition), le lieu de programmation (municipalité, théâtre ou festival), la compagnie «reconnue» programmée et la compagnie «émergente».

– Il est intéressant de constater que ces dernières années ont vu fleurir ici et là des actions chorégraphiques et ce dans l’espace public, dans des gares, sur des places. Ces actions «surprises» ont généralement suscité une joie, un enthousiasme de la part des personnes subitement prises à parti dans l’élaboration de ces actions.
Une des plus grandes facilités de produire du visible est d’occuper un espace, quel qu’il soit. Et la danse n’a cessé de proposer d’investir les espaces qu’ils soient proches, accessibles ou inatteignables…. (surface verticale, toitures, utilisation d’engins…). C’est même une des préoccupations principales des chorégraphes contemporains car «l’occupation» d’espaces libres, ouverts, représente une prise de position et affirme la liberté et l’indépendance de ceux qui l’investissent. C’est un acte politique.

Développer le développement de l’officialisation, le rôle et le poids de l’institution, les outils mis à disposition….

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