Compte rendu du débat 1 : Auteur de Danses Aujourd’hui?, au festival d’Avignon 2015

Compte rendu du débat 1 : Auteur de Danses Aujourd’hui?, au festival d’Avignon 2015


© Vitaliy Paykov

 samedi 18 juillet 2015 de 16h30 à 18h30

debat1

Ce document propose un résumé des débats. Archives audios intégrales ici.

Invités
Julie Desprairies, chorégraphe
Fred Guzda, artiste/auteur/philosophe
Anne Lopez, chorégraphe
Hélène Marquié, chorégraphe et maîtresse de conférence HDR à l’Université de Paris 8, membre de l’association des Chercheurs en Danse (ACD)

Modératrices
Betty Mercier-Lefèvre, anthropologue, professeur émérite à l’Université de Rouen, membre du Comité Scientifique de l’ACD
Micheline Lelièvre, chorégraphe

Pour cette rencontre nous avons souhaité aborder les questions suivantes :
− la dimension historique du statut de l’auteur en général et de l’auteur chorégraphe en particulier ;
− la place de l’auteur dans la société d’aujourd’hui : statut, reconnaissance sociale et réalité des pratiques ;
− qu’est-ce qu’un auteur chorégraphe aujourd’hui dans la diversité de ses activités ?
− témoignages d’auteurs chorégraphes.


FRED GUZDA : Regard historique sur l’auteur

Historiquement, la notion d’auteur est liée à la fonction du producteur de textes.

Michel Foucault liste 4 endroits où s’exerce la fonction d’auteur
− le nom d’auteur
− le rapport d’appropriation
− le rapport d’attribution
− la position de l’auteur

Rapport d’attribution : Michel Foucault fait remarquer l’évolution de ce rapport entre la fonction d’auteur au Moyen Âge et la fonction moderne de l’auteur.

Au Moyen âge, l’auteur n’existait pas. La production textuelle médiévale était soit :
− la tradition populaire orale (épopée, chanson de geste, etc.) : œuvres qui passaient de main en main, le plus souvent anonymes, dont l’auteur était mal identifié, souvent l’œuvre de plusieurs auteurs (réécritures, modifications…). L’auteur au sens moderne n’existait pas au Moyen-Age. La transmission des textes était plutôt le fait d’« acteurs » traversés par les textes ;
− la tradition écrite et savante venant des clercs, qui avaient pour mission de compiler, commenter, expliquer, des textes anciens, religieux ou païens. Pour cette société savante, les auteurs désignaient les anciens. Les auteurs n’étaient pas contemporains. C’était Aristote, Hippocrate… Doctrine de « l’auctoritas », à savoir ce qui fait autorité, c’est-à-dire les auteurs, c’est-à-dire les Anciens. Relation de réciprocité : on est auteur parce qu’on fait autorité, et on fait autorité parce qu’on est auteur.

Après la Renaissance (évolution progressive), les choses se retournent.
L’axe de réflexion de Foucault : texte scientifique / texte littéraire.
Aujourd’hui texte littéraire a besoin d’un auteur. Le texte scientifique pas forcément.

Remarques liées à notion « d’auctoritas » :

Décalage temporel entre le statut d’auteur et l’autorité attribuée aux anciens par les médiévaux. Ceux qui attribuent l’autorité de l’auteur n’en disposent pas mais s’y soumettent.

Passage à l’actualité : disparition du rapport au passé pour la condition d’auteur. L’auctoritas de l’auteur va progressivement se trouver dans celui qui agit, fait, écrit. Passage progressif. Au départ Dieu reste l’auteur par excellence. Puis, au XVIIe siècle, apparaît dans le dictionnaire le mot « auteur » défini comme la cause de la production de quelque chose. Enfin, petit à petit, la notion de Dieu disparaît.

Aujourd’hui, l’auteur est le sujet originaire, la cause d’une œuvre. La logique qui fonde cette compréhension est celle de la « cause efficiente » qui vient d’Aristote : une cause est le principe premier de ce qui est fait. Ce principe est à la base de la notion moderne d’auteur (exemple chez Aristote : le père est la cause de son enfant).

Cette causalité efficiente n’est compréhensible qu’à partir de son résultat. C’est parce qu’il y a un effet qu’il y a une cause.

Cette causalité a été remise en cause par les philosophes stoïciens, qui ont introduit un rapport de réciprocité.
Exemple de la notion de paternité d’Aristote (le père est la cause de son enfant), l’enfant est aussi la cause du père (sans enfant, le père n’est pas père).

=> rapport de double causalité. L’auteur a besoin de talent pour écrire. Mais il ne sait qu’il a du talent qu’après avoir écrit. La notion de talent caractérisait la remarque de Blanchot à laquelle je faisais référence, lui-même commentant implicitement Hegel. Je pense qu’on peut élargir la remarque à toute activité artistique sans même se poser la question du talent.


HÉLÈNE MARQUIÉ : Apparition du chorégraphe en tant qu’auteur

Le mot « chorégraphe » apparaît en 1700 en lien avec un système de notation de la danse.
Le chorégraphe est alors la personne chargée de noter les pas de danse (et non celle qui invente les pas).
Cette fonction d’écrire les pas de danse bénéficie d’un privilège : le droit du statut de propriétaire de ce qu’il a écrit (la danse), et donc le droit de la vendre.
La personne qui compose la danse n’a aucun droit. Elle s’appelle « compositeur de ballet » ou « maître de ballet » (on ne trouve pas de femme).

Le sens actuel du mot chorégraphe apparaît au début du XIXe siècle, sous le Consulat ou l’Empire : « créateur d’œuvre ayant la danse pour principal langage ».

3 aspects du statut de chorégraphe en tant qu’auteur :
− reconnaissance symbolique du chorégraphe en tant qu’auteur ;
− reconnaissance des droits à la propriété intellectuelle ;
− perception financière de droits si on utilise son œuvre.

Ces 3 points vont poser souci au cours du XIXe.

Le droit d’auteur est reconnu au XVIIIe siècle pour les compositeurs de musique, les peintres, les dessinateurs, les auteurs littéraires.

Au XIXe siècle, pour la SACD, seuls les auteurs de livrets de ballets et les compositeurs de musique sont reconnus comme auteurs. Certains chorégraphes le sont, mais seulement parce qu’ils ont participé au livret ou à la composition de la musique.

C’est seulement dans 2e moitié du XIXe siècle qu’apparaît la reconnaissance du droit de propriété pour les chorégraphes.

(exemple 1862 : le tribunal condamne Mme Petipa pour avoir dansé un pas composé par Jules Perrot)

1886 : convention de Berne : Premiers accords internationaux pour protéger les œuvres : le ballet est assimilé à une pièce de théâtre. La chorégraphie est assimilée à une mise en scène.

Pendant longtemps, sur les fiches de la SACD, il fallait un écrit pour décrire le ballet.

La convention de Berne ne mentionnait la chorégraphie que dans un document annexe. Seuls les États qui voulaient bien appliquer ce protocole pouvaient l’appliquer. Ce n’était pas une obligation.

La reconnaissance du statut d’auteur est la condition pour toucher des droits.
À l’Opéra de Paris, les chorégraphes apparaissaient comme co-auteurs et touchaient des droits (même si ces droits étaient inférieurs à ceux des librettistes ou des auteurs de musique). Mais ce n’était pas le cas dans d’autres théâtres.

Début XXe siècle, cas des chorégraphes salariés dans un théâtre (maîtres et maîtresses de ballets).
Madame Stichel, première maîtresse de ballets de l’Opéra de Paris, intente un procès parce que son nom ne figure pas à l’affiche. Revendique de toucher les mêmes droits que les autres auteurs.
La SACD ne la soutient pas. Mais, au procès, elle fait valoir son implication dans l’oeuvre. Elle ne revendique pas d’être l’auteure d’une danse, mais d’avoir participé au livret.
A l’époque, la danse « traduit » chorégraphiquement le propos du librettiste. La question de l’invention de mouvements originaux n’existe pas (pas de reconnaissance d’invention de mise en scène originale non plus pour les metteurs en scène).
Le tribunal donne raison à Mme Stichel. Mais il revient sur sa décision en appel. Madame Stichel est renvoyée de l’Opéra de Paris.
Mais son successeur touchera des droits.

Il faut cependant attendre presque arrivée de Lifar à la SACD pour que le maître de ballet puisse toucher des droits, mais aussi pour que l’auteur de danse puisse être considéré comme un auteur. Lifar avait même inventé le terme « choré-auteur ».

Aujourd’hui, beaucoup de chorégraphes ne savent toujours pas qu’ils peuvent toucher des droits.

Chorégraphes Associés a fait un contrat-type pour répondre à ces besoins.


BETTY LEFÈVRE, Regard anthropologique sur l’auteur de danse

La notion d’auteur est une construction historique, sociale, culturelle et pose la question des mots utilisés pour se nommer. Comment désigne-t-on ce que l’on fait et en quoi le langage a-t-il un pouvoir ?

Dans les sociétés occidentales, les activités culturelles et artistiques sont « légitimées », elles sont le fait de spécialistes qui considèrent qu’ils appartiennent à une catégorie valorisante, la catégorie de l’art.
Se dire « artiste » c’est revendiquer une appartenance à un espace social connoté positivement.

Chacun cherche sa place, à se distinguer. Il y a des affrontements de définitions et de territoires, des ambivalences dans les termes utilisés.

Lors d’entretiens d’ enquête menés auprès de chorégraphes par une doctorante de l’association des Chercheurs en Danse, voici la liste non exhaustive des appellations qu’ils se donnent :
Artiste
danseur/euse-chorégraphe
chorégraphe
artiste chorégraphique
auteur / autrice
créateur / créatrice
entrepreneur artistique
artisan d’art
inventeur / trice
bricoleur / euse
travailleur / euse (cf portrait de l’artiste en travailleur)
intermittent / ente
homme orchestre / femme orchestre
chercheur / chercheuse
etc…
Pourquoi se déclare-t-on l’un plutôt que l’autre C’est-à-dire quelle position symbolique occupe-t-on ?

Il existe une ambivalence lexicale, les mots inventent des catégories d’appartenance, des frontières entre art et non art, des tensions entre différentes conceptions de l’acte de création , entre celui qui est réputé ou à la marge. Être ou ne pas être artiste / auteur, c’est-à-dire faire partie ou non d’un espace socialement valorisé.

Pour certains sociologues (cf Howard Becker), l’art est une activité collective. Il est le résultat d’un réseau de collaborations. À la vision d’un artiste démiurge, il oppose une vision collective. L’auteur au singulier d’une œuvre n’existe pas pour lui.
Il appelle ces réseaux « les mondes de l’art ». Il appelle ces réseaux « les mondes de l’art ». Ces « mondes de l’art » représentent tous ceux qui participent à la création d’une œuvre, de ceux qui l’écrivent à ceux qui la programment, la sonorisent, l’éclairent, la critiquent, la mettent en scène etc.

Dans la question de l’auteur, il y a l’idée de signature, de propriété, de droit d’auteur, la notion d’autoriser l’utilisation d’une œuvre.

Dans la chorégraphie, les noms des solistes ne sont pas forcément sur les affiches. Interrogation : quelle est la part de création du soliste ? L’auteur fait référence, fait autorité et installe une hiérarchie. Par exemple, dans les productions chorégraphiques, on peut remarquer que les noms des solistes ou des interprètes ne figurent pas systématiquement sur les affiches. Interrogation : quelle est la part de création du soliste dans l’œuvre produite?

Les carrières artistiques sont à risque. L’incertitude est permanente. Elles s’inscrivent dans un régime de singularité, souvent avec l’idée de l’autodidactie.

Or aujourd’hui le métier de chorégraphe est inscrit dans le code du travail (présomption de salariat).
→ nombreux paradoxes liés à la fonction d’auteur chorégraphique.


ANNE LOPEZ, chorégraphe
Question de Micheline Lelièvre : À quel moment te sens-tu auteure ?

Se sent auteure tout le temps. Parce que tout le temps elle réfléchit à ce qui fait son écriture.
Dans les spectacles, elle n’est pas seule auteure. Ils sont le fruit d’une collaboration.

Se sent auteure de sa pensée, de son écriture chorégraphique, dans son activité d’enseignement, de transmission, qui lui permet d’en savoir plus sur son processus d’écriture chorégraphique que quand elle travaille avec des danseurs professionnels.

Elle travaille sur ses partitions en permanence. Le travail avec l’autre, dans toutes les situations, l’aide à comprendre sa raison d’être.

JULIE DESPRAIRIES, chorégraphe
Même question de Micheline Lelièvre : À quel moment te sens-tu auteure ?

Elle n’écrit pas la danse au sens où on l’entend habituellement. Sa manière de faire « prélève ». Elle s’appuie principalement sur des mouvements qui pré-existent dans les lieux (gestes de travail, liés aux usages des lieux, etc.)

Pourtant elle revendique l’idée d’être auteure d’une production artistique, d’une performance, d’une pièce.

Sa génération a porté cette revendication d’auteur. D’un côté les chorégraphes voulaient s’affirmer en tant qu’auteurs. D’un autre côté les institutions ont poussé les chorégraphes à s’assumer en tant qu’auteurs.
Récemment, dans les plaquettes, on voit souvent le nom du chorégraphe et le nom du spectacle (et pas le nom d’une compagnie).

Aujourd’hui, ces choses sont remises en question par la jeune génération : beaucoup de signatures collectives. C’est moins important d’être dans revendication d’un seul nom, sans doute parce que le statut d’auteur pour les chorégraphes est acquis.

La question du partage des droits est toujours en chantier. Le chorégraphe touche des droits lorsque son spectacle est présenté au public. Ce qui pose question, parce que le chorégraphe ne transmet pas sa propre danse au danseur. Les danseurs fournissent au chorégraphe la matière de sa chorégraphie. L’œuvre est collective. Cette réalité pose plusieurs questions : quid du partage des droits ? Comment chacun est mentionné ? Comment les danseurs sont mentionnés ? Comment le chorégraphe est mentionné (concepteur, etc.) ?
Originellement, le chorégraphe est celui qui écrit la danse. Aujourd’hui pour le grand public c’est toujours le cas. Or le rôle du chorégraphe est beaucoup plus important (règle des questions de mise en scène, de lumière, de technique, de propos, de dramaturgie…).
La question de l’auteur est donc très complexe.

Dans son cas, la question des droits d’auteur et du partage des droits fait l’objet de discussions avec l’équipe artistique. Chaque pièce nécessite une grosse période de travail (6 à 8 mois) en amont des répétitions avec l’équipe (recueil de témoignages, écriture du projet…). Cette recherche n’est jamais financée. Elle touche les droits d’auteur qui sont une manière de compenser l’absence de financement de cette période.
C’est ce temps en amont qui distingue l’ampleur de travail entre le chorégraphe et les danseurs.

ANNE LOPEZ
Dans certaines pièces, elle a choisi de partager les droits d’auteurs avec les danseurs.

MICHELINE LELIÈVRE : précision
Anne, lors d’une rencontre l’an dernier, tu as dit que tu te sens auteur quelle que soit la situation : dans ton travail de création avec des danseurs, mais aussi dans ton travail de création dans les prisons, avec des enfants, …

ANNE LOPEZ
Précise sa réponse à la question précédente : se sent auteure quelle que soit la situation de la création, quels que soient les interprètes.
Dans son travail en maison d’arrêt, en collège, en lycée…, elle se présente d’emblée comme chorégraphe : propose d’écrire une performance. Et propose aux participants de choisir leur place, dedans ou dehors.
Elle passe un « contrat » avec eux et leur dit qu’elle n’a rien à leur enseigner.
Au début, effet de résistance. Puis quelque chose se passe parce qu’ils voient le travail, la réflexion.
C’est pour elle la condition absolue de travailler.
Elle se dit « chorégraphe » plutôt qu’auteur / autrice.

MICHELINE LELIÈVRE : En quoi vous sentez-vous chorégraphes ?

ANNE LOPEZ
Passionnée par le geste qui se déplie d’un coup d’un corps, par le présent.
Son travail consiste à fabriquer avec l’autre quelque chose qui n’est pas habituel et se transforme en pièce chorégraphique.

JULIE DESPRAIRIES
Elle n’est pas danseuse. On lui a souvent demandé pourquoi elle se définissait comme chorégraphe et non comme performeuse.
Le performeur a un rapport avec l’instantané.
Le chorégraphe crée des choses écrites qui peuvent être reproduites. Elle se sent chorégraphe dans ce sens.

La question de la trace pose problème. C’est sans doute pourquoi il n’y a pas de problème à nommer auteur un écrivain, un compositeur, un auteur de film… Pour le chorégraphe, il y a un problème de trace. Il y a peu de notateurs, et personne ou presque n’a les moyens de payer un notateur. Les captations vidéo sont le plus souvent réalisées pour communiquer, mais pas pour l’archive.

MICHELINE LELIÈVRE à Julie Desprairies :
Pourquoi es-tu chorégraphe et pas autre chose ? Quelle est ta spécificité d’auteure ?

JULIE DESPRAIRIES
C’est plus sa démarche que l’écriture du mouvement qui fonde son identité de chorégraphe : danse en lien avec l’architecture dans une relation de nourriture de l’un par l’autre. Elle cherche à affiner de jour en jour cette démarche singulière qui fait d’elle une auteure de chorégraphies.
A la question « qu’est-ce que la danse contemporaine ? », souvent posée quand elle travaille avec des non professionnels, elle répond : la danse contemporaine est une danse dont chaque auteur invente sa démarche, son écriture.

BETTY LEFÈVRE
Reprend la remarque de Julie : l’institution a demandé aux chorégraphes de s’affirmer.

Exemple de Dominique Boivin / Cie Beau Geste : Beau geste est un collectif. Pendant longtemps, Dominique Boivin a refusé que son nom soit indiqué en tant que chorégraphe. Mais l’institution l’a contraint à se nommer personnellement.

Anne Lopez utilise le mot « écriture ». Notre pensée occidentale est beaucoup basée sur des référents académiques qui font appel à l’écriture. Or pour réfléchir le corps, il faut une pensée qui ne soit pas anatomique mais une pensée chorégraphique.
→ choros : suppose espace + transformation dans le temps
→ kairos : instant où je me sens troublé par l’autre
Dans « écriture » il y a l’idée de fixer.

Dans sa conception, il n’y a pas fixation, mais mouvement, instantanéité : se mettre en mouvement pour penser le corps.

HELENE MARQUIÉ
En tant que chorégraphe, elle ne pense jamais à l’écriture. Pour elle, c’est inventer, expérimenter, donner vie à d’autres corps et univers. L’écriture est en 2 dimensions. Alors qu’avec le corps on a plein de dimensions.
Pourtant elle note pour transmettre, mais ne le pense pas comme une écriture.
Dans certaines cultures, il n’y a pas de référence à l’écrit.

ANNE LOPEZ
L’écriture chorégraphique n’est pas ce qu’elle écrit sur un papier. C’est pour elle le choix entre 2 mouvements, 2 situations.

UNE PERSONNE DU PUBLIC
Le travail du chorégraphe ressemble beaucoup au travail de mise en scène. La question de l’auteur se pose de la même manière. Le metteur en scène a un travail en amont, mais au moment des répétitions, il se passe quelque chose de l’ordre de la relation humaine. Certaines mises en scène sont explicitement un travail collectif. Mais les mises en scène sont en général réalisées par un metteur en scène, qui met en scène des comédiens. Le metteur en scène est comme le chef d’orchestre.

Concernant le financement : on vit actuellement dans la notion de salaire du travail, suivant la conception qu’il faut être payé en fonction des heures travaillées. Dans les professions artistiques, il y a quelque chose d’un peu bestial là-dedans. Les professions artistiques poussent à revoir cette conception. Le statut d’intermittent nous montre un autre modèle. On doit travailler un certain nombre d’heures pour vivre et travailler. Autre manière de percevoir le salariat. Ce qui est légitime n’est pas le nombre d’heures, c’est en quoi ce que je vais recevoir va me permettre de continuer.

MICHELINE LELIÈVRE à tous les invités :
Quelle serait pour vous la définition du chorégraphe ?

JULIE DESPRAIRIES 
Artiste œuvrant dans le domaine du spectacle vivant et dont la recherche a pour point de départ le corps.

FRED GUZDA
Vient des arts plastiques : il y a des arts centrés sur le corps (body art,…) qui ne seront pas définis comme de la chorégraphie.
Souvent les définitions inscrites sur les affiches sont dans une logique de spécialisation. On perd un peu la notion de l’auteur.
Il est significatif que la question de l’auteur soit presque toujours liée à celle de ses droits.
Foucault indique que la question de l’auteur s’est vraiment posée quand il a fallu punir.
Le droit de paternité de l’œuvre n’est pas abrogeable même par l’auteur.
Un auteur peut détruire son œuvre mais ne peut pas, au regard de la loi, décider de ne plus en être l’auteur.

BETTY LEFÈVRE
Cf François Laplantine : le chorégraphe est quelqu’un qui offre des regards multiples sur des corps pour raconter notre humanité en perpétuel devenir.

Question concernant la notion d’auteur : est-ce qu’actuellement les gens qui font les costumes, la musique, les lumières… peuvent être reconnus comme co-auteurs ?

Pour répondre à la question du salariat de l’artiste, elle suggère de lire Pierre-Michel Menger (Portrait de l’artiste en travailleur) : le milieu artistique peut en effet être pris comme un observatoire du travail d’aujourd’hui (formes de flexibilité, de fragilité du travail).

HELENE MARQUIÉ
Être chorégraphe : inventer des corps vivants, les faire vivre différemment, inventer leur univers, mettre le corps au cœur de la chose, et expérimenter. Notion de spectacle vivant importante.
Tissage entre l’espace et la temporalité (à la fois le temps qui passe et la temporalité des corps).

ANNE LOPEZ
Chorégraphe : personne qui cherche la danse.
On peut chercher et ne pas trouver et être chorégraphe.
On peut ne pas être inscrit à la SACD et être chorégraphe.
On peut ne pas être reconnu et être chorégraphe.

MICHELINE LELIÈVRE
Chorégraphe : personne qui a une tournure d’esprit particulière qui lui permet d’organiser l’espace et le temps autour de lui à travers le mouvement (qui peut être mouvement du corps mais aussi autres mouvements).


DÉBAT AVEC LE PUBLIC

ISABELLE MAGNIN
Pour elle le chorégraphe est celui qui travaille autour du sujet du corps sensible (et non plus du corps performant), et pas forcément dans la représentation.
Le chorégraphe est le seul qui considère le corps comme un tout.

DANIEL LARRIEU
Par rapport à la question posée aujourd’hui de la capacité de partager ses droits avec d’autres disciplines : c’est tout à fait possible, mais c’est à la discrétion de l’auteur.
Aujourd’hui à la SACD : 2000 ayants droits à la danse.
Sur les 2000, env. 700 cies françaises.

La question essentielle est celle d’un lien politique à l’autre : élaborer une relation politique à une dimension collective ou individuelle.

Capacité de chacun à inventer des méthodes de relations : est-on capable aujourd’hui de travailler sur l’ensemble des relations politiques à l’autre, dans une dimension collective ou individuelle ?

Certaines personnes travaillent encore sous un ancien régime du pouvoir (dimension verticale et brutale).
D’autres tentent d’élaborer de nouvelles relations : expériences du sensible, expériences où on ne parle plus du corps dansant mais de la précision du corps dans l’espace. Formes de travail des chorégraphes mais aussi de personnes qui écrivent des formes « non narratives ». Il s’agit non seulement des dimensions du sensible, mais de toutes les dimensions du corps à l’œuvre dans la relation politique.
Chorégraphe : quelqu’un qui va élaborer une relation politique à l’autre à partir d’une hypothèse du lien.

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