Compte rendu du débat 2 : Inventer les Centres Chorégraphiques de demain, au festival d’Avignon 2015

Compte rendu du débat 2 : Inventer les Centres Chorégraphiques de demain, au festival d’Avignon 2015


Dimanche 19 juillet 2015 16h30-18h30

debat2c

Ce document propose un résumé des débats. Archives audios intégrales ici.

Invités
Patricia Ferrara, chorégraphe
Alban Richard, chorégraphe et directeur du CCN de Caen
Emmanuel Serafini, Directeur du CDC Les Hivernales – Avignon
Patrick Germain Thomas, sociologue

Modératrice Micheline Lelièvre, chorégraphe


Aujourd’hui, de quels outils rêveriez-vous pour être chorégraphe?

PATRICIA FERRARA
– Imaginer, pas rêver ;
– Question de la parité et de l’équité (une pyramide avec une base de plus en plus importante, un sommet de moins en moins grand) ;
– Prendre en compte les nouvelles données territoriales et politiques. Les réformes vont-elles infléchir les choses ? Comment donne-t-on la parole à ceux qui disent :  » Laissez-nous décider de nos territoires » ;
– Comment imaginer un CCN avec des porosités de relations avec ceux qui sont déjà là et font vivre ce territoire ;
– Défaire ses propres représentations. De l’influence de l’habitude sur la liberté de pensée ;
– Un CCN excentrique, ouvert vers l’extérieur ;
– Hétérotopie (selon Michel Foucault : une hétérotopie est une localisation physique de l’utopie, un espace concret qui héberge l’imaginaire) – Désacraliser les CCN ;
– Imaginer un lieu ouvert pour la danse : lieu nomade, montable, démontable à l’envi ;
– Altérité : accueillir l’autre dans des lieux qui sont de l’ordre de la spécificité. L’accepter sans référence ;
– Référence à ‘expérience du Black Mountain Collège de 1933 à 1950 où travail manuel, études générales et pratiques artistiques cohabitaient. Ce qui était mis en avant était l’éducation de tous par chacun, y ont séjourné John Cage, Merce Cunningham, Robert Rauschenberg… Y a été impulsé un décloisonnement des disciplines artistiques et une forte émulation.

ALBAN RICHARD
Pour sa prise de fonction au CCN de Caen, il a mis en avant:
– L’idée de fabrique artistique ;
– Lieu de création d’œuvres ;
– Un espace partagé : 5 autres artistes « compagnons » se joignent à l’expérience de ce CCN ;
– Pour les 4 premières années (rappelons qu’un artiste à la direction d’un CCN peut faire au maximum un mandat de 4 ans puis 2 mandats de 3 ans sous certaines conditions) : création, production, diffusion ;
– Participer à la réflexion et aux enjeux du lieu → un lieu de pensée, d’émancipation intellectuelle pour les artistes et les habitants ;
– De par sa démarche artistique: une réflexion d’expertise entre danse et musique ;
– S’appuyer sur ses oeuvres, ainsi que celles des artistes compagnons pour développer une culture chorégraphique auprès des habitants ;
Une question se pose : pourquoi les habitants viennent-ils ou pas dans un lieu tel qu’un CCN ?
Pour développer de nouvelles dynamiques, Alban propose de réfléchir à des pistes telles que :
jardin urbain devant le CCN pris en charge par une classe, une école, une association ?
Café philo, lieu d’accueil pour des rencontres avec des thématiques élargies.
Un CCN peut être à la fois un point de mire et donner un point de vue → muliplier les points de vue.

EMMANUEL SERAFINI
– Nécessité pour l’artiste d’avoir un lieu pour développer son œuvre ;
– Nécessité d’enlever les étiquettes et de laisser les artistes se prononcer sur leurs territoires et leurs outils : peut-on inventer des outils, des territoires, adaptés à la pratique de la danse selon les besoins des artistes ?
– Les artistes définiraient la nature du lien avec ce lieu, ce territoire (dramatique, musical, chorégraphique ?) ;
– Rêve pour l’avenir : déplacer les représentations qu’on a des CCN, laisser les artistes définir leurs lieux plutôt que faire entrer les artistes dans des cadres pré-définis par les pouvoirs publics.

PATRICK GERMAIN THOMAS, invité pour resituer le contexte sociologique
Petit rappel : l’ACCN vient de fêter les 30 ans des CCN mais la réflexion était lancée depuis les années 60-70. Le CCN est déjà le résultat d’un rêve. Françoise et Dominique Dupuy l’avaient pensé comme une école.
L’idée prendra forme en 68 avec l’implantation du Ballet Théâtre Contemporain à la Maison de la culture d’Amiens.
L’idée était de favoriser l’existence d’une activité chorégraphique professionnelle en dehors des maisons d’opéra et de décentraliser.
On cherche un modèle qui permette à la fois l’implantation dans un lieu et la circulation des œuvres.
Années 80, sous l’impulsion de Jack Lang : construction du réseau des CCN (1984), financés conjointement par les collectivités territoriales et le ministère de la culture (objectif de décentralisation).
1998 : création du principe de l’accueil studio : partage de l’outil.
Depuis la fin des années 1990, l’installation des centres chorégraphiques dans leurs propres locaux génère une forte augmentation des budgets de fonctionnement, allant de pair avec une diminution de l’emploi artistique permanent. Certaines équipes artistiques passent d’un emploi permanent à un emploi intermittent.
Aujourd’hui, une question cruciale : la circulation des spectacles produits par les CCN, leur place dans la programmation des principaux réseaux de diffusion en France n’est pas proportionnelle celle qu’ils occupent dans la politique de la création.

Même question posée à Julie Desprairies (short list CCN Grenoble)
Désacralisation des CCN – les ouvrir.
Ce sont des lieux avec des moyens, ils sont convoités.
Comment faire pour que ces moyens soient pensés en termes de partage ? Ouvrir ces lieux aux autres pratiques, aux autres arts, aux habitants. Envie et besoin que ces lieux deviennent moins écrasants que vivants.

ALBAN RICHARD
Important que le choix se porte sur des projets plus que sur des personnalités.

DANIEL LARRIEU
Hier : définition du travail du chorégraphe comme étant des capacités à inventer des liens politiques. Possible d’inclure le spectateur à cette invention du politique : symbole d’une dimension des idées en partage.

Question du lien avec le politique : grand chantier à inventer. Nécessité de former les élus à l’art. On se pose la question du public, comment la danse peut être vécue dans le grand public. Très peu d’outils, dimension médiatique très faible.
Rêve : former les élus à la question de la médiatisation des arts mineurs comme majeurs. Que tous les musées ou écoles d’art incluent dimension du corps. Que les écoles de danse incluent la dimension théâtrale, du partage, des connaissances politiques…
Faire confiance à la nouvelle génération pour inventer des nouveaux systèmes.

JEAN-MARC ADOLPHE
Le dispositif d’accueil studio est issu d’une demande des compagnies indépendantes de mieux partager l’outil CCN. Aujourd’hui, besoin d’ouvrir, de partager, encore plus, d’emmener les CCN ailleurs (y compris au niveau géographique). Ce déplacement peut être issu d’une réflexion partagée entre artistes de différents horizons.
La place des danseurs et de tous ceux qui font la danse (musiciens, dramaturges, critiques, accompagnateurs…) est très importante. Ils doivent être inclus à la réflexion en partage, au même titre que le public. Les projets des Centres Dramatiques ou Chorégraphiques peuvent être rendus publics et débattus sur un territoire. Ne doivent pas être simplement le fait des décideurs.
Il met l’accent sur l’idée d’un lieu citoyen, avec des rendus publics et des concertations régulières sur leur territoire.

EMMANUEL SERAFINI
La question de l’argent est relative. Exemple Ville d’Avignon : 10 million d’euros pour le théâtre, 1 million pour la musique, 100.000€ pour la danse.
Important de revendiquer une meilleure répartition au niveau politique.
Aller sur des territoires comme les CDC le font.

KATALIN PATKAÏ
Chorégraphe. Crée des pièces quand elle peut. N’a jamais été aidée par l’institution. Vit à Pantin, près du Centre National de la Danse.
Le CND est déserté par la population.
Elle crée aujourd’hui, avec 2 vidéastes, dans un local mis à disposition par le maire, au cœur d’un quartier démuni, lieu de partage avec la population, ouvert à tous, mais sans moyens financiers.

Comment arriver à nos rêves en partant de ce qui existe?

PATRICIA FERRARA
créer des moments, ne pas capitaliser, elle ajoute  » ne pas faire œuvre ».
Prise en charge collective et individuelle de nouvelles visions du monde, de nouvelles manières de penser, de faire. Des mots ont été abîmés par l’ultralibéralisme, comme « partage ». On ne peut plus les utiliser aujourd’hui, il faut en trouver d’autres.

JEAN-MARC ADOLPHE
Mission première des CCN : lieux pour la création. Puis formation, centre ressource.
Dans les années 80, militantisme de la danse contemporaine avait à voir avec une utopie d’émancipation du corps et par le corps. Aujourd’hui, qui parle encore d’émancipation ? Il y a urgence à inventer des projets qui sortent de la sphère œuvre / spectacle, mais qui parlent de la relation avec un territoire, des habitants, par la danse et par le corps. Les CCN ont peut-être un rôle à jouer : poser la question de l’enjeu du corps dans la société.

ALBAN RICHARD
Dans les années 80, la mission de création des CCN était déjà posée : développement d’écritures chorégraphiques.
Aujourd’hui le cahier des charges des CCN s’est beaucoup alourdi.
Comment produire de l’organicité et de l’horizontalité, de la porosité entre les différentes plateformes ?

MARINETTE DOZEVILLE
Pour reconquérir l’utopie, il faut sans doute s’éloigner d’une logique de production. Relation de chaîne alimentaire contradictoire avec la notion d’horizontalité. Les compagnies sont trop souvent dans une logique de production, de recherche d’argent. Les CCN font leurs choix selon les capacités de production des compagnies.

ALBAN RICHARD
Beaucoup de spectacles produits grâce à l’accueil studio.
Les Scènes nationales ne coproduisent presque plus de spectacles chorégraphiques.
Mais budget limité à 45.000€ par an.
Son choix : 5 accueils studio avec 10.000€ par projet.
Logique de production – on s’épuise beaucoup actuellement dans les CCN – masse salariale importante et cela tourne essentiellement vers la production.

EMMANUEL SERAFINI
Les CDC font aussi des coproductions. Les pièces chorégraphiques se produisent en circuit fermé CDC – CCN.
Danger que la danse s’autoproduise.

PATRICK GERMAIN-THOMAS
Question de la production importante : représente la possibilité pour les danseurs d’être rémunérés pendant les répétitions.
Les ressources viennent des coproducteurs, des diffuseurs et des subventions.
La capacité à s’autoproduire peut aussi se lire comme un combat que la danse a gagné suite à une lutte : émancipation de la danse.

JACQUES LIVCHINE
A dirigé une Scène nationale (Montbéliard), rebaptisée « Centre d’art et de plaisanterie » en hommage à Dubuffet.
On essaie trop souvent de faire entrer un projet dans un cadre imposé par le ministère plutôt que de repousser ces cadres. Mais c’est possible de faire bouger les cadres.

EMMANUEL SERAFINI
Il faut pouvoir créer un rapport de force avec le politique.

PATRICIA FERRARA
Pour elle le mot « utopie » fait reculer la possibilité d’y arriver.
Idée d’hétérotopie, l’utopie qui est ancrée dans un lieu.
Le pouvoir ne l’intéresse pas et elle n’a pas envie de le prendre.

ALBAN RICHARD
En finir avec les formes pyramidales et autoritaires.
Travailler ensemble au-delà des esthétiques, des problématiques : partager une intelligence commune.
Il faut tenter d’établir un arc de tension entre l’artistique et le politique.
La direction d’un CCN représente pour lui la possibilité de poser une parole qui, en tant que compagnie conventionnée, n’a pas été entendue.

PATRICK GERMAIN-THOMAS
Question de l’organisation du monde chorégraphique, il l’est peu !
Besoin de multiplier les possibilités pour les chorégraphes de travailler : pourquoi pas plusieurs artistes dans un même CCN ?
Comment les CCN peuvent-ils faire pour renforcer leur autonomie ?


Évocation du CDC des Hivernales par Emmanuel Serafini
Un rappel d’histoire : les CDC se sont auto-proclamé après la création du CDC de Toulouse. Il a fallu 18 ans pour une vraie reconnaissance.
Il a été choisi à la direction du CDC sur son projet, mais dès son arrivée il a dû d’abord se préoccuper de la structure CDC. Le projet n’a finalement jamais été évoqué. Hypocrisie par rapport au projet.
On est rapidement confronté au « principe de réalité » qui s’oppose au projet. Discuter du projet avec les citoyens est important, mais important aussi de discuter avec les politiques de leur projet pour les outils.

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