Compte rendu écrit et archive sonore du débat :Débat à la Biennale de la danse en Lorraine: «Quels dispositifs pour l’aide à l’écriture chorégraphique?»

Compte rendu écrit et archive sonore du débat :Débat à la Biennale de la danse en Lorraine: «Quels dispositifs pour l’aide à l’écriture chorégraphique?»


© Marc Domage

Biennale de la danse à Nancy
Centre Culturel André Malraux de Vandœuvres-les-Nancy

Vendredi 09 octobre 2015

Cette rencontre se déroule, en partenariat avec ARTECA et le Centre Culturel André Malraux, dans le cadre d’Exp.edition, 2ème biennale de danse en Lorraine.


• 10h-12h30 • partage d’écritures chorégraphiques (temps de pratique)

© SCA
© SCA

Invités
Aurélie Gandit, chorégraphe de la Cie La Brèche
Julien Ficely, chorégraphe de la Cie Filament
Dominique Starck, chorégraphe de la Cie Poussière de Rose


• 14h30-17h00 •

Archives sonores (2h29)

«Quels dispositifs pour l’aide à l’écriture chorégraphique?» by Chorégraphes Associés on Mixcloud

 

Invités
Corinne Jutard, chargée de mission danse Spectacle vivant à l’Association Beaumarchais / CJ
Mélanie Perrier, chorégraphe et lauréate de la bourse à l’écriture de l’Association Beaumarchais / MP
Louis Ziegler, chorégraphe et fondateur du théâtre du Marché aux Grains de Bouxwiller / LZ

Modératrice
Micheline Lelièvre, chorégraphe / ML

10 personnes sont présentes : Aurélie Gandit, Véronique Albert, Camille Mutel, Julien Ficely, Dominique Starck, Marie Cambois, Julie Trouverie, Sosana Marcelino, Pascale Manigaud, Marie Kœcher


 

SYNTHESE DU COMPTE RENDU

Micheline introduit le débat en citant Laurence Louppe : « …chorégraphier c’est à l’origine tracer ou noter la danse », c’est en effet la signification que Feuillet, inventeur du mot, lui assigne en 1700.
Est-ce toujours cela aujourd’hui ?
Au regard de l’histoire, on remarque qu’il y a autant de manières d’écrire la danse qu’il y a d’auteurs.
Ce serait intéressant de voir dans toute cette diversité s’il y a un dénominateur commun.

1- la première question serait sans doute d’identifier de quoi on parle lorsque l’on énonce « écriture chorégraphique ».

Mélanie place l’écriture chorégraphique à l’endroit de l’élaboration de processus pour mettre en danse. La partition devient un outil plutôt que synonyme de notation ou écriture finale en vue de faire mémoire.
Mais alors :
De quels processus parle t-on ? Et pour quoi faire ? ».
Alors que s’écrit-il quand il y a de l’aléatoire, quand ce n’est plus la danse en tant que forme qui prime mais le processus pour le faire advenir ? Il faut créer un processus mais aussi l’organiser.

Louis vit la question plus qu’il ne la dit. Il peut la réfléchir et l’agir. Le chorégraphique est le lieu de la pensée en mouvement. Chaque projet, chaque action nécessite la génération d’un ou plusieurs processus spécifiques liés au projet. L’auteur est à l’intérieur du projet au même titre que les autres (interprètes, secrétaire…). L’élaboration d’un projet se traduit par du relationnel, de l’action, une précipitation de la pensée plutôt que prendre des notes. C’est un travail d’écriture concret à la fois très personnel et collectif, qui amène à ne plus savoir qui écrit. C’est toujours une pensée qui s’exprime.
Ce qui est écrit n’est pas la danse, ce qui est écrit c’est la pensée, c’est ce qui a provoqué le projet.
Il donne comme exemple un groupe de danseurs folkloriques avec lesquels il répète. Le chorégraphique n’est pas lié seulement à la danse mais aussi à l’acte social qui les réunit. Cela déplace la notion de l’écriture, au delà d’organiser les choses c’est aussi une manière de les vivre.
Nous ne sommes plus uniquement dans l’esthétique mais dans le vivant, dans la manière de vivre.

Mélanie ajoute que l’écriture devient une forme de vie. Avant la question était de comment on colore le mouvement. Aujourd’hui le mouvement est là et c’est le moment de le donner à voir qui prime. Le mouvement se vit, il n’y a pas le « chemin vers » que nous pourrions nommer processus.

Micheline lit la réponse d’Emmanuelle Vo Dinh à la question : Qu’est-ce qu’une écriture chorégraphique ?
« Une écriture chorégraphique est pour moi ce qui signe ou défini un auteur. En un sens une écriture chorégraphique de façon très schématique est au chorégraphe ce qu’une écriture littéraire est à un écrivain. C’est à dire un processus d’élaboration qui permet de le singulariser, et plus on avance dans le parcours d’un auteur plus cette signature définit l’essence de son écriture et/ou un processus de travail qui par sa méthodologie et son aboutissement le définit comme auteur à part entière de son œuvre. »

Le fait qu’il y ait autant d’écritures que d’auteurs amène Mélanie à poser cette question : « Est-ce la bonne solution de tenter de définir l’écriture à partir des processus mis en place ? D’une part chacun a sa spécificité, d’autre part l’écriture est aussi plus que ça.

La définition d’Emmanuelle Vo Dinh se place aussi du côté de la méthodologie de travail. L’écriture ne serait pas tant la façon de faire émerger le mouvement mais comment on organise les relations entre les composantes pour que quelque chose advienne. Cette définition se place dans le contemporain qui est le nôtre, elle n’est plus dans l’élaboration de formes précises mais dans l’élaboration d’un temps commun. Le chorégraphe est à l’endroit des relations. Il fait plus qu’organiser la danse, il arrive à mettre ensemble des personnes pour que quelque chose advienne.
La question de l’écriture chorégraphique, c’est aussi comment à un moment donné on se saisit de la danse et pourquoi. Pour en faire des spectacles ou l’emmener ailleurs.

Se pose alors la question de savoir si il faut cadrer ou non cette notion d’écriture.
Plusieurs remarques sont exprimées :
– La danse étant éphémère, elle échappe peut-être à la notion d’œuvre en tant qu’objet fini.
– Le terme d’écriture est rapporté de la littérature et englobe un ensemble de règles (vocabulaire, syntaxe…). La danse a la chance de pouvoir échapper aux mots et d’aller chercher ailleurs. Il y a plus que de l’écriture dans la danse.

Pour Louis la danse n’est pas dépendante de la représentation et c’est un élément qu’il faut prendre en compte. Il faut arriver à cerner de quoi on parle. Est-ce que ce qui fait qu’il y a une écriture c’est qu’elle est reconnue et lue par un public ? Est-ce que le fait que la danse advienne doit supposer le fait qu’elle est chargée d’une écriture ?

Mélanie pose cette question : « Dans quelle mesure, ce qui est proposé au public, est audible ? ». Il y a plein manières de le rendre audible et cela s’apprend mais on doit aussi se demander : « Quelle conception du spectacle a t-on ? » Suivant de quelle esthétique part sa danse (danse classique, butô, danse folklorique…) le chorégraphe ne transmet pas la même chose.
Micheline note que les mots qui reviennent pour définir l’écriture sont : organisation, construction, agencement, choix.

La notion d’écriture est abordée également dans le cadre de créations interdisciplinaires.

Pour Mélanie le chorégraphe est à l’initiative de quelque chose. Si des personnes se réunissent dans un studio ou non, c’est grâce au chorégraphe. Pour le chorégraphe, que se passe t-il quand le spectacle n’est plus juste la monstration d’un type de danse? Particulièrement dans les spectacles interdisciplinaires où le chorégraphe est un vrai chef d’orchestre. Les relations danse/musique, danse/lumière, danse/espace ne sont plus données, le chorégraphe est beaucoup plus un organisateur de places et de relations qu’un faiseur de pas de danse.
D’où je parle, quand mon médium c’est le mouvement ? Qu’est-ce que c’est que poser de la danse dans une organisation collective ?
Ces endroits de relation sont une innovation aujourd’hui. Dans le cas d’une aide à l’écriture, est-ce l’écriture de l’auteur ou celle du spectacle qui est concernée ?
C’est un acte politique de revendiquer la place du corps toujours au centre d’un spectacle inter-disciplines. Aujourd’hui la position de chorégraphe est stratégique.

Louis rappelle qu’en tant que groupement syndical, il est important de défendre et de conserver la spécificité de la danse. Le chorégraphique reste avant tout relié au mouvement, le mouvement est le centre. Toutes les questions de structuration, d’organisation, de processus œuvrent pour la mobilité de la pièce.

Corinne met en garde sur la création d’une case « projets interdisciplinaires » où on ne retrouverait plus aucune spécificité et qui peut devenir fourre-tout.

Louis relève qu’il fait parti d’une commission d’experts que la Région Alsace a créée. Cette commission est pluridisciplinaire, les experts discutent ensemble de tous les projets, toutes disciplines confondues. C’est une manière de pensée très différente et très intéressante qui fait bouger les lignes dans la manière de voir les processus. Par rapport à notre sujet d’écriture, c’est le collectif artistique qui réfléchit à la question, il n’y a pas de conflit de chapelle. On ne reconnaît pas du tout les œuvres de la même manière.

2 – Est-ce que la composition est la même chose que l’écriture ?

Micheline cite Laurence Louppe : « Composer vient du latin componere = disposer ensemble. Pour certains l’idée et le mot de composition s’appliquent aux processus d’élaboration ou d’apprentissage, l’écriture est ce qui résulte de ce travail. »

Elle donne également la réponse d’Emmanuelle Vo Dinh : « La composition chorégraphique relève pour moi de paramètres qui ne rentrent pas dans le champs de l’écriture, par exemple un artiste chorégraphique peut tout à fait réaliser une composition chorégraphique qui aura du sens mais qui n’aura pas le geste nécessaire pour que l’écriture est lieu, c’est à dire qu’elle produise quelque chose qui définisse un sens autre que ce pourquoi elle a été produite. De la même façon nous trouvons des artistes non chorégraphes capables d’inscrire dans leurs parcours une écriture chorégraphique. »

Louis renvoie au travail de composition de Nikolaïs qui consiste à trouver une organisation qui permet de lire la pensée. Il y a composition quand, à partir de la structuration des choses, émerge un sens. Le choix de la matière et son organisation permettent d’accéder à la pensée.

Mélanie : La composition engage bien plus que l’organisation du mouvement dansé. Les éléments périphériques participent intégralement à cette définition du temps de la danse dans sa visibilité, dans sa manière d’organiser son énergie, dans l’espace qu’il déploie etc… Je construis un objet spectaculaire plus que comme je construis une danse.
Pour revenir à Emmanuelle, ce que je comprends c’est qu’elle conçoit l’écriture comme un style qui dépasse la simple question de la composition c’est à dire l’agencement d’un certain nombre de choses au moment de l’advenu du spectacle. Je ne sais pas si en tant qu’auteur on est les mieux placés pour savoir ce qui fait écriture chez nous, si on prend public pour définition de l’écriture cette question du style. A un moment donné cela fait écriture, on reconnaît que c’est le travail d’untel.

Micheline rappelle que si on défend une aide à l’écriture vis à vis des institutions il nous faut trouver un tronc commun pour asseoir un point de départ. A l’heure actuelle nous sommes obligés de réfléchir à un corpus.

Quels outils partage t-on ensemble ? Comment on arrive t-on à construire ensemble ?
Ensemble nous constatons que les termes d’auteurs, compositeur, sont empruntés à d’autres et sont peut-être étroits. En tant que chorégraphes nous avons une grande force, c’est de savoir gérer des équipes, un auteur ou un écrivain est seul.

Louis ajoute que l’écrivain est seul et il produit un objet. En ce qui concerne le chorégraphe, il navigue avec des matériaux qui peuvent faire émerger autre chose qu’un objet, plusieurs spectacles, des pratiques…

3 – Présentation de l’Association Beaumarchais par Corinne Jutard :
L’ Association Beaumarchais est créée par la SACD pour donner des aides en direct aux auteurs parce que la SACD étant un regroupement d’auteurs, ne peut pas privilégier un auteur plus qu’un autre dans l’attribution des aides.

La SACD a un service d’action culturelle qui donne des aides pour soutenir des festivals ou des manifestations. L’Association Beaumarchais soutient en direct des auteurs. L’association est indépendante de la SACD car elle a son propre conseil d’administration. Les employés ne sont pas des salariés de la SACD et les commissions sont indépendantes, c’est à dire que dans ces commissions ne siègent pas les auteurs élus au conseil d’administration de la SACD.

Les financements proviennent de la copie privée. La copie privée est une taxe prélevée sur les enregistrements à titre privés sur des supports audiovisuels. 25% des recettes de la copie privée sont réinjectés dans la création. C’est là où le lien avec la SACD est très étroit puisque c’est l’argent de la copie privée qui va à l’action culturelle de la SACD. Cette somme lui est rétrocédée.

Les aides couvrent 10 disciplines : théâtre, la danse, le cirque, les arts de la rue, le lyrique, le spectacle musical, cinéma court et long métrage, la télévision unitaire et séries, l’animation télé, la radio et les formats innovants.
Les aides sont des aides à l’écriture. Beaumarchais soutient des dossiers qui partent de la recherche et du processus d’écriture. Une des conditions pour obtenir la bourse c’est que la pièce ne soit pas créée au moment où on communique les résultats, ce qui n’empêche pas qu’il y ait eu différentes étapes de travail.

Une fois l’aide à l’écriture obtenue, le lauréat bénéficie d’office :
• d’une aide à la production, sans limitation dans le temps, sous réserve de justifier de la réalisation et de 5 dates.
• une aide financière pour la résidence à d’écriture ou de création. C’est une petite aide qui sert plus à boucler un budget et permettre de payer des frais de déplacement ou un hébergement. C’est une aide très sollicitée par les chorégraphes, les circassiens et par les artistes de rue.
• Une aide à l’édition. Beaumarchais est très attaché à la traçabilité de l’œuvre. Cette aide ne porte pas sur la notation, au sens traditionnel du terme.
• Une aide à la traduction.

Corinne est là pour apporter un soutient logistique, un suivi de dossier aux lauréats.
Le nombre de lauréats varie chaque année (6 en 2015).
On ne peut pas être boursier 2 fois.

Pièces obligatoires pour le dossier : un projet artistique écrit et décrit et un cv.
Pièces facultatives : présentation des travaux antérieurs, budget prévisionnel, calendrier.
Les aides sont fixes :
Aide à l’écriture = 3 200€ (l’enveloppe est en réalité de 3 500€ mais Beaumarchais a l’obligation de cotiser à l’AGESSA et verse 300€)
Aide à la production = 5 000€
Aide à l’édition : elle est versée à l’éditeur et ne représente jamais la totalité du coût.
Aide à la traduction : idem, elle est versée au traducteur.
Aide à la résidence : le chorégraphe établit ses frais, Beaumarchais le rembourse à une hauteur définie avant.

Mais ces aides restent toujours liées à une production, elles viennent soutenir cette production.
Néanmoins l’assujettissement au spectacle est relatif. Pour la danse, le cirque, la rue, les membres des commissions Beaumarchais connaissent les candidats, ils ont suivi leur travail, les connaissent ou les rencontrent, même s’ils sont au début d’un parcours. Le spectacle pour lequel ils postulent devient presque un prétexte, l’aide est un encouragement.

Cette aide est versée pendant l’écriture, le spectacle peut avoir lieu après. C’est aussi une prise de risque pour Beaumarchais, au stade de l’écriture les membres des commissions ne savent pas ce que va donner le résultat.

Le fonctionnent est perfectible et Corinne souhaite participer au type de rencontres organisées par SCA. C’est instructif d’entendre les artistes, de comprendre comment ils fonctionnent.
Plusieurs dispositifs sont cités :
Le Luxembourg accorde une subvention uniquement pour la recherche.
En Lorraine, la Région possède un dispositif de résidence sans obligation de spectacle.
En Suisse, un dispositif de Pro Helvetia finance un jeune auteur pour venir faire ses armes auprès d’un chorégraphe plus expérimenté.
Les CCN proposent des accompagnements pour les compagnies de leur territoire.
La SACD vient de mettre en place le Processus cirque entièrement axé sur la recherche.
Louis ajoute que l’idée de conventionnement pour les compagnies sur plusieurs années permet de prendre ce temps. Le danger est de donner de l’argent où des lieux n’ont pas d’accompagnement des artistes. Il cite L’L à Bruxelles où il y a suivi des résidents.
Camille Mutel a bénéficié du programme hors les murs de l’Institut Français pour un travail de recherche sans obligation de résultat et d’une mise en réseau avec d’autres artistes dans le pays choisi.

4) De quelle aide à l’écriture rêveriez-vous ?

Louis émet l’idée que les artistes soient aidés pour avoir des coachs, sur le même principe qu’un directeur de thèse ou bénéficier de bourses pour aller travailler avec un chorégraphe.

Mélanie explique qu’elle collabore avec une notatrice et une spécialiste de l’analyse transactionnelle du mouvement. Ce sont des personnes qui sont à l’endroit d’une expertise qu’elle n’a pas et qui participent intégralement au projet. A l’endroit de l’écriture, Mélanie souhaite ce genre de collaboration, au moment de l’élaboration d’un spectacle voir même avant.

Micheline souhaite un accompagnement qui donnerait les moyens de faire des recherches sans savoir sur quoi cela va aboutir ; avoir le temps de faire des recherches, pouvoir rencontrer des personnes de façon à nourrir quelque chose qui va advenir sans anticiper la forme.

Mélanie ajoute que le chorégraphe se doit aussi un temps d’écriture de rédaction de projets, qui demande des compétences et tous les chorégraphes ne sont pas égaux face à ce travail.

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