Billet d’humeur, Acte 1 – Brochure post Avignon 2019

Billet d’humeur, Acte 1 – Brochure post Avignon 2019


© David Jorre

Le chorégraphe et le politique par Micheline LELIEVRE

Tout d’abord je voudrais distinguer la danse et la chorégraphie dans les termes.
Pour moi, la danse serait cet art du mouvement qui comporte un plaisir physique et esthétique certain, une dépense d’énergie, voire une sublimation d’un état d’être en mouvement. La chorégraphie touche à la construction, à la création de situations mettant en jeu du mouvement et des états. En tous cas, une écriture de quelque chose dont le chorégraphe est l’auteur, celui qui détermine ce qui advient.
Dans ce texte je parlerai du point de vue de l’auteur. Ici, j’appellerai « politique » toute personne ou institution, en sa représentation par des personnes, dont l’objectif est d’organiser la vie publique sous ses divers aspects.

Le chorégraphe partage avec le politique d’œuvrer en relation avec d’autres. Une œuvre n’existe que si elle a un public à un moment ou un autre.
Le politique vise à organiser une vie des humains dans le monde, à son niveau de responsabilité bien sûr. Il organise des relations. Il semble donc qu’il y ait un point de croisement entre les deux univers qui, peut-être, pourrait créer du commun. Est-ce envisageable ?

Déjà les objectifs ne sont pas les mêmes, ils sont même parfois aux antipodes puisque les uns organisent et gèrent la vie en société, alors que les autres désorganisent, décalent, inventent. Cela pose une question : comment se fait-il que ce soit le politique, l’institution qui propose des dispositifs aux artistes, leur taillant des costumes souvent bien inconfortables ? Comment un partenariat serait-il profitable aux uns et aux autres ?
Nous nous heurtons à un constat peu encourageant. La société actuelle donne une importance aux loisirs, y rangeant pêle-mêle, la culture, le sport, les voyages…. Elle s’organise au regard de la consommation, chère au politique (chère pour l’avenir de la planète, mais là n’est pas le sujet).

Consommer, c’est absorber, digérer, jeter, en attente du prochain objet à consommer. Cela va de plus en plus vite, sans prendre ou avoir le temps du recul, de la réflexion, de l’échange pour saisir d’où parle(nt) l’autre (les autres). Alors peut-être est-ce là justement que se trouve notre place de créateur : décaler le regard, prendre un temps sans consommer, produire des objets dont l’utilité est de faire rêver, réfléchir, ceux là dont on dit qu’ils ne servent à rien, prendre le temps de la réflexion personnelle, du partage.

Alors, plutôt que d’attendre passivement que le politique nous fasse des propositions, inverser la donne et nous, lui en faire, depuis l’endroit qui est le nôtre. Cet endroit ce serait celui où se crée une rencontre, où une expérience se vit et non celui d’un produit à consommer.
De plus en plus, il nous est proposé d’intervenir ici et là (parfois même là où les politiques ont échoué). Nous avons des missions à remplir qui nous rapprochent de l’animation, du loisir, du produit à consommer, bien loin de la création artistique, qui suggère un partage d’expérience sans attente de résultat, d’accepter éventuellement qu’il ne se passe rien d’immédiat, qu’il n’y ait pas de retour direct sur investissement.
Notre compétence consiste à enrichir des situations, créer des possibilités de rencontres avec des œuvres, ouvrir des champs de friction entre des idées, des attitudes, des possibles.
Alors revendiquons que cesse cette utilisation de nos compétences, par delà la production d’œuvres, pour servir des intérêts de politique immédiate de court terme.

L’avenir appartiendra à ceux qui le rêvent et le désirent, et vont œuvrer dans ce sens, pas à ceux qui ne cherchent que des profits, quel qu’ils soient (financiers, égocentriques).


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